Autobiographie imaginaire
Je suis né au printemps de l’année 1950 à Chassagne, une petite commune de Haute-Loire. Un garçon sans histoire aux dires de mes parents. J’étais en bonne santé et plutôt vif d’esprit. Durant l’été, je partais un mois en colonie de vacances au bord de la mer afin, disaient-ils, d’être en forme toute l’année scolaire. C’était un centre de vacances situé en Vendée, mais je ne sais plus où exactement. Une certitude, c’est là que j’ai définitivement détesté l’eau, les vagues, le sable, les parasols qui s’envolent dès que le vent commence à se lever. Moi, ce que je voulais, c’est aller là-haut sur la montagne, comme le chantaient si bien tous les enfants dans le car que nous empruntions en colo. Ensuite, mes parents ne pouvant partir en vacances, je restais à la campagne, jouant avec mes copains d’école puis plus grand, à peine adolescent, j’allais aider aux travaux des fermes alentours au moment des moissons. Un peu d’argent de poche gagné à la sueur du front. Mais que de souvenirs…
Puis ce fut le choc. En 1972, mon père fut muté dans une filiale de sa société. Nous n’avions pas le choix. A l’école primaire avait été organisée une petite collation pour ma mère. Elle fut la première élève à devenir institutrice dans son village. Elle avait à peine vingt et un ans. Que d’émotions ! Moi aussi j’avais usé mes chaussures, dans ces couloirs où je n’hésitais pas à faire des farces aux filles des classes inférieures. J’étais un blagueur et un romantique. Petit, je glissais des fleurs dans les poches des copines qui répondaient à mes sourires. Cette année-là, j’avais 14 ans en dernière année de collège, je devais quitter tous mes copains d’enfance. J’avais le cœur brisé. Je ne pouvais pas partir, je ne voulais pas les quitter. Nous avions tant partagé ensemble. De la cour de l’école maternelle aux salles du collège dans lequel nous nous rendions quotidiennement grâce aux cars scolaires, en dépit des conditions climatiques de novembre à mars. Et les hivers furent rudes aussi dans ces années-là. Plusieurs fois, nous n’avions pu nous rendre au collègue suite aux importantes chutes de neige, aux pluies verglaçantes. Il est même arrivé que nous restions dans la ville voisine faute de ne pouvoir revenir au village bloqué par les intempéries.
La séparation fut terrible, la première de ma jeune vie, la pire épreuve qui pouvait m’être imposée à cet âge. Je fus inscrit au collège de l’arrondissement dans lequel nous habitions à Lyon. Ce fut une très mauvaise année pour moi. Pas sur le plan scolaire car je n’étais pas un mauvais élève en quatrième et je savais ce que je voulais faire plus tard. C’était un secret que je gardais bien profondément au fond de mon cœur. Mon père allait travaillait tous les matins, heureux de pouvoir diriger une équipe puisque c’était l’objet de sa promotion. Ma mère réussit dès janvier à retrouver un poste dans une école. Elle enseignait à des enfants en cours préparatoires. Ainsi commença une nouvelle vie. Mes parents se faisaient de nouvelles connaissances, semblaient heureux de leur sort.
Je ne partageais pas leur enthousiasme mais ma scolarité se passa sans encombre. En cours d’année, nos parents devaient décider pour nous de notre orientation. Lycée général pour les meilleurs élèves ou lycée technique pour les enfants « moins doués pour les études ». En ce temps-là, on ne parlait pas de ces choses-là avec nos parents, on faisait comme ils le voulaient. J’étais toujours sérieux à l’école mais mes parents s’étaient aperçus que l’enfant, l’adolescent joyeux et parfois déluré d’avant était plus triste que lorsque nous vivions en Haute-Loire. Ils s’étaient aperçus aussi que je rapportais toutes les semaines de la bibliothèque du quartier des romans liés à la montagne, des ouvrages qui traitaient de la vie dans les Alpes mais ne m’en avaient pas parlé. Suite au conseil de classe et à une rencontre parents-professeur, il était pourtant décidé que je suivais le cursus général jusqu’au baccalauréat, filière économie. Je devrai être patient jusqu’à la fin du cursus scolaire, je pourrai peut-être changer de filière et revenir à mon projet. Je ne disais toujours rien. Le métier qui m’attirait le plus était agriculteur mais en en altitude. Avoir des vaches ou des brebis, faire du fromage, vivre avec elles l’été dans les alpages. Petit déjà, lorsque j’étais à l’école primaire, je rêvais en classe lorsque l’instituteur évoquait les Alpes, les Pyrénées et les métiers que l’on pouvait y pratiquer. Mes notes en dictée préparée ou en poésie étaient toujours les meilleures de la classe si elles étaient liées aux sommets, aux vallées,… Au collège, au lycée, ce fut la même chose, le même intérêt, la même passion pour le milieu montagnard quelles que soient les matières qui pouvaient s’y prêter.
Après ces trois années vécues comme une contrainte sous la pression parentale, à l’âge de 18 ans, je me décidai à parler à mes parents de mon rêve. Je vécus une mauvaise journée. Ils étaient déçus, ils avaient d’autres ambitions pour moi et me mirent au pied du mur. Soit je continuais mes études en septembre dans la voie qu’ils m’avaient tracée, soit je quittais la maison. Je leur faisais honte. Je vécus ce défi comme une expérience gratifiante. Nous étions en 1976 et j’étais majeur depuis peu de temps. Je partis en stop pour la première fois de ma vie, laissant derrière moi mes parents dépités. Leur fils unique abandonnait la voie qu’ils pensaient le voir suivre, la meilleure selon eux.
Là, je compris que j’avais fait le bon choix. Je m’arrêtai dans le Vercors, demandai au propriétaire du premier café-restaurant situé sur mon chemin s’il ne connaissait personne à la recherche de main d’œuvre pour l’été dans une ferme. Il m’a orienté dans une direction où je trouverais un éleveur de vaches laitières qui recherchaient de l’aide pour quelques mois. Cela ne pouvait pas mieux tomber ; Le monsieur m’a accueilli à bras ouverts, son commis venait d’avoir un accident et ne serait pas disponible avant plusieurs mois. Ses enfants n’étaient pas du tout intéressés par le travail ardu de la ferme. Il trouvait en moi le candidat inespéré. C’est ainsi que j’ai appris sur le tas le métier d’éleveur et de fabriquant de fromage. Ce fut difficile mais j’étais le plus heureux du monde. J’ai un jour écrit à mes parents pour leur expliquer ma nouvelle existence. Ils ne m’ont pas répondu immédiatement mais lorsque leur lettre est arrivée, ce fut un immense soulagement. Mon employeur leur proposa de venir se rendre compte de ma métamorphose et ils acceptèrent de venir le rencontrer et de me revoir quelques semaines plus tard. C’est là que nos relations se sont améliorées. A chacun de mes retours, ils étaient même fiers de parler de mon travail à leurs voisins et me demandaient de leur rapporter quelques produits locaux. L’avenir qui s’ouvrait à moi était clair. J’allais m’installer à Méaudre, petit village situé « là-haut sur la montagne ». Je voulais acheter une ferme, quelques vaches et fabriquer mes propres fromages. Ma première étape professionnelle fut de retourner à l’école afin d’apprendre certaines bases essentielles à la gestion d’une exploitation. Je dus partir à Saint Jean de Maurienne dans un centre de formation pour adultes pendant quelques mois. Je connus alors l’hiver le plus rude de la décennie, routes bloquées, difficultés d’approvisionnement alimentaire, coupure de chauffage et impossibilité de rentrer voir mes parents sur Lyon plusieurs semaines d’affilée. Je fis, à cette période, la connaissance de Delphine, jeune citadine elle aussi attirée par le démon de la montagne. Nous attendîmes rapidement les mois de mars, avril pour pouvoir découvrir les joies de l’escalade, des escapades sur Chamonix et voir de plus près le Mont Blanc vu seulement dans les livres de classe. La vie coula ensuite toute seule, au fil des mois, des années. Nous avons acheté notre ferme, avons partagé notre activité entre élevage et tourisme. Delphine accueillant des touristes dans des chambres que nous avions aménagées et elle leur faisait découvrir la flore de notre montagne lors de randonnées l’après-midi. Nos enfants âgés de 8 et 10 ans ont déjà décidé qu’ils n’iront jamais vivre en ville depuis qu’ils ont passé quelques jours à Lyon, lors de vacances chez leurs grands-parents… « Papi Mamie de Lyon, on veut les voir toujours mais pas dans la ville. Ici c’est plus beau. » Les parents de Delphine ont quitté leur Provence et vivent à Lans en Vercors. Les miens sont venus profiter de leur retraite à Villars de Lans. Ils n’ont jamais eu l’air aussi radieux;
Aujourd'hui, j'ai 50 ans. La raison pour laquelle j'ai décidé d’écrire ce livre, c'est pour remercier le routier qui m’a pris en stop ce soir de juillet 1978 et m’a déposé à Méaudre, pour rendre hommage à l’homme, à la famille qui m’a ouvert la porte ce jour de juillet 1978, dans ce Vercors, enfin me permettant de réaliser mes rêves d’enfant et pour que mes parents sachent que je n’oublierai jamais qu’un jour ils ont compris et accepté mes ambitions, différentes et si lointaines de leurs rêves de parents. C’est grâce à eux que je suis devenu l’homme que je suis, fier d’avoir réalisé ses rêves d’enfants.