Irène
2007
J'ai rencontré
Irène un soir de septembre 2007 près de la rotonde du 19ème à Paris,
convulsivement adossée à la grille, vêtue d’une robe noire rehaussée d'un petit
mouchoir rose. Les passants la regardaient, furtifs et hâtaient le pas en
cachant leur émotion. Ma réaction fut de la photographier de loin, séduit par
l'image de son regard qui reflétait une nature assez sensible : un homme ou une
femme goujat ou hypocrite, tous ceux-là m'agacent. Je considérai quelques temps
auparavant possible de savoir que faire pour l'aider. J'aurais pu, par
curiosité, la questionner discrètement, lui demandant ce qui n'allait pas et
essayer ainsi de lui être utile. Mais peut-être aurait-elle été méfiante et
ressenti quelque arrière-pensée. Or, je ne savais que faire en la découvrant
paniquée à ce moment-là. Simplement, respecter ce qu’elle cherchait : la
solitude et je voulais qu’elle le sache tout en lui apportant un peu de chaleur
humaine ; elle avait besoin de compagnie, elle avait froid ; elle
frissonnait.
Je l’ai donc
abordée et lui ai proposé de venir s’asseoir au café situé à quelques pas de
là. Elle ne pouvait pas rester dehors à grelotter. Impossible de lui proposer
de mettre ma veste sur ses épaules : je n’en portais pas ce jour-là. Elle
a hésité puis accepté. Après lui avoir demandé ce qu’elle souhaitait boire,
j’ai commandé deux thés puis nous avons commencé à discuter.de la décoration
éclectique du bar. Elle m’a remercié de m’être arrêté pour elle et d’avoir
insisté afin de venir au chaud. Sans que je ne lui pose la moindre question,
elle s’est confiée à moi qui n’était qu’un inconnu, un passant comme un autre
ce soir-là dans le quartier. Non, je n’étais pas comme eux, m’a-t-elle répondu.
Je l’ai vue, l’ai regardée, lui ai souri alors que les centaines d’autres ont
continué leur chemin, n’ont pas daigné croiser son regard. Son visage
témoignait d’un chagrin terrible, ses yeux étaient tristes, noircis des larmes
qui avaient noyé son maquillage. Malgré cela, sa pupille retrouva une étincelle
au fil des minutes qui s’égrenaient. Entre deux gorgées du breuvage brûlant,
elle se présenta.
Elle s’appelait
Irène et devait quitter Paris pour une ville lointaine. Raisons familiales et
psychologiques. Pourtant, elle se plaisait ici, s’était fait des amis, occupait
un poste important dans une entreprise internationale. Elle adorait cette ville
lumière où elle croisait régulièrement des personnes connues dans divers
domaines : la mode, la littérature, la radio, le journalisme. Elle était
appréciée de tous et participait à de nombreuses manifestations telles que des
défilés, des salons d’exposition, des voyages d’affaires au cours desquels la
France devait défendre ses intérêts économiques. Elle était interprète et
pouvait parler en anglais, allemand, espagnol, chinois, russe, sans oublier le
français, sa langue presque natale. C’est ainsi qu’elle me raconta la raison
profonde de son désarroi. Le matin même, jour de son vingtième anniversaire,
ses parents lui avaient appris un lourd secret. Elle était adoptée depuis sa
naissance par ce couple. Elle ne pouvait pas accepter qu’ils ne soient
pas ses géniteurs, d’autant qu’il y avait des ressemblances très frappantes. Et
pour cause. Elle était la fille d’une des sœurs de celui qu’elle appelait papa.
Lorsqu’elle vint au monde, c’était la guerre dans son pays d’origine, en
Bosnie. Elle était le fruit d’un viol. Sa maman, très faible pendant sa
grossesse, ne survécut pas à l’accouchement et le jeune frère, témoin de la
scène tragique neuf mois plus tôt, lui promit de s’occuper du bébé et d’en
assurer l’éducation. C’était il y a 20 ans.
La semaine
dernière, ce couple avait échappé à un grave accident. Miraculeusement sortis
indemnes, leur décision fut prise. Ils ne devaient plus porter ce lourd secret.
Cette révélation était pour la jeune femme un nouveau choc psychologique. Elle
ne pouvait faire face à autant de drames en restant là, sur Paris, à travailler
comme si de rien n’était alors qu’elle venait de découvrir qu’elle avait des
origines bosniaques, qu’elle ne connaissait rien de ce pays dont personne ne
lui avait jamais parlé. De nouveaux papiers d’identité pour échapper à ce pays
mentionnaient un nom aux consonances françaises. Comment pouvait-elle deviner
qu’elle n’était pas française de souche. Ses grands-parents étaient décédés
avant sa naissance, les uns durant le conflit, les autres des suites de longue
maladie. Les oncles et tantes qu’elles fréquentaient vivaient en France
voulaient oublier leur passé.
Comment tous ces
gens en qui elle avait toujours eu confiance, qu’elle adorait, avaient pu lui
cacher ce passé, accepter que ses parents lui cachent cette vérité ? Elle
était triste, en colère et ne voulait plus voir sa famille. Il fallait qu’elle parte, qu’elle s’aère
l’esprit pour faire le vide et se reconstruire. Ailleurs, loin de ceux qui
l’avaient aimée au point de dissimuler son passé…
Cet
après-midi-là, quelques temps avant que je ne la croise près de la Rotonde,
elle avait réservé un aller simple pour les Etats Unis, résilié son bail de
location, mis dans trois valises des vêtements et des effets personnels pour
les premiers jours là-bas et préparé des cartons de vêtements à l’adresse de
ses parents adoptifs. Colis accompagnés d’un message : « Lorsque vous
recevrez ces paquets, je serais dans l’avion. Je pars quelques mois à la
découverte d’un autre monde. J’ignore quand je reviendrais. J’ai besoin de
temps et d’espace pour comprendre et accepter ce cadeau d’anniversaire que vous
venez de me faire. Prenez bien soin de
vous et de mes cartons… Irène ».
Je ne savais pas quoi
dire, sa décision ne me regardait pas, c’était son choix, sa vie. Mais quelque
chose me titillait. Pourquoi avait-elle accepté de prendre un peu de temps avec
moi dans ce café ? Elle m’avoua simplement que je l’avais émue lorsque je
l’avais photographié de loin. Elle qui devait toujours sourire pour les photos
officielles lors des congrès, des rencontres avec des personnalités, était à
présent une autre. Une inconnue pour elle-même et elle avait eu envie de savoir
pourquoi je l’avais prise en photo car elle n’y avait pas vu de curiosité ou de
moquerie. Elle avait croisé le regard d’un homme aussi désemparé qu’elle
pouvait l’être. Elle me confia qu’avant son départ pour les US, un peu de
chaleur humaine était un point positif. Je n’avais pas le regard de ces hommes
qui déshabille les femmes d’un œil insistant ou de ces passantes méfiantes.
J’avais l’œil du photographe, de ces professionnels souvent rencontrés. Ceux-là
immortalisent un visage pour l’émotion qui s’en dégage, non pour faire le buzz
sur la toile. Et après trois heures de discussion ou plutôt trois heures
au cours desquelles elle s’est laissée aller aux confidences, elle m’a posé des
questions sur moi, ma vie, mes centres d’intérêt.
Je m’appelais
Alex et je lui racontais mon travail de reporter indépendant, mes voyages à
travers le monde, au gré de mes envies…, ma vie bohême, les rencontres avec des
personnes étonnantes, aux quatre coins de la planète, aux antipodes de nos
existences. Ces populations ignorent ce qui les entoure, les modes de communications
autre que le dialogue de vive voix, entre humains. Elles ne connaissent pas le
téléphone et ne peuvent imaginer qu’il existe un réseau GSM, Internet, la
télévision. Je lui raconte la vie de ces
peuples vivants dans certaines contrées, tels les Gorane dans le désert du
Sahara. Irène était devenue silencieuse, écoutant très émue les récits de
voyage telle une petite fille.
Cinq heures
du matin. Le café où nous nous trouvions
allait fermer ses portes. Nous n’avions pas envie d’arrêter cette conversation.
Le compte à rebours avant son départ pour l’aéroport de Roissy Charles de
Gaulle était commencé depuis plusieurs heures mais elle ne semblait plus aussi
empressée de quitter Paris. Je lui suggérais de l’accompagner en taxi afin de
continuer à parler sans les contraintes de la conduite. Nous passâmes chez elle
chercher ses bagages puis nous partîmes vers le point de départ de sa nouvelle
vie. Au cours du trajet, je recevais un sms plutôt inattendu. « rendez-vous
à Dallas le 08 novembre pour un reportage photos ». C’était mon
agent. Il remportait ce contrat après des mois de négociations avec une chaîne
de télévision publique française. Je faisais part de cette bonne surprise à
Irène et elle se jeta à mon cou.
Le hasard nous
avait conduit l’un vers l’autre ce soir dans le dix-neuvième à Paris et il
venait de nous donner l’occasion de nous revoir loin d’ici. Simples et
heureuses coïncidences. Vingt-quatre heures plus tôt rien ne présumait qu’Irène et moi ne nous
serions rencontrés. Qui aurait pu prévoir l’accident de ses parents adoptifs,
leur révélation fracassante, sa décision brutale de tout quitter et
l’annulation de dernière minute de mon rendez-vous avec un agent immobilier
pour une visite d’appartement, Place de la Rotonde. C’est en attendant
l’arrivée de cet homme que j’ai observé Irène puis l’ai photographié. Ensuite,
j’ai reçu cet appel téléphonique m’informant de l’annulation de la vente du
duplex situé derrière la grille où se trouvait adossée Irène.
Nous arrivons à
l’aéroport. Le taxi nous dépose devant le terminal. J’aide Irène à poser ses
valises sur un chariot. Nous nous dirigeons vers le tableau d’affichage afin de
connaître le n° du hall d’embarquement, l’horaire d’enregistrement des bagages.
Je m’aperçois qu’un vol est affiché « retardé » et conseille à Irène
d’aller au comptoir de la compagnie aérienne pour obtenir des informations.
L’hôtesse lui annonce que finalement le départ n’est pas retardé mais annulé.
Une tornade s’est abattu sur la ville de New York ; tous les vols au départ
ont été supprimés et les arrivées détournées.
La compagnie ne pouvait pas proposer de places à Irène avant soixante-douze heures.
Ni elle, ni moi n’avions écouté les actualités depuis douze heures ;
nous ignorions tout des conséquences que les conditions météorologiques avaient
engendré. Sous le coup de cette nouvelle, Irène ne voulait pas être replacé sur
un autre vol dans l’immédiat. Son assurance-vol lui permettait de décaler son
retour de quelques semaines. Deux catastrophes en si peu de temps lui ont
suffi. Elle n’allait pas partir si loin sans savoir
ce qui l’attendait.
La question qui
se pose à présent est où va-t-elle loger ? Elle n’a pas plus de logement
et le mien n’est pas très spacieux. C’est elle qui m’a demandé de l’héberger.
Elle ne veut pas rester seule mais est très fatiguée. Un peu de repos au calme,
ensuite elle avisera.
Soit ! Retour
en taxi sur Paris. Nous rentrons dans mon appartement, posons ses bagages dans
la chambre qui me sert de bureau. Je lui propose de préparer un déjeuner sur le
pouce avant qu’elle n’aille se reposer. Après on verra. Une petite omelette
accompagnée d’une salade et quelques fruits feront l’affaire pour ce midi.
Irène file s’allonger et s’endort très rapidement. Je la laisse dormir et en
profite pour regarder le planning de ma semaine. Quelques photos à réaliser sur
des sites situés dans différents arrondissements de la capitale ; un
reportage « vidéo » à préparer en province ; des clichés pour un
écrivain mais je n’ai pas l’adresse exacte, ce sera dans le Gers je crois. Puis
dans deux mois, Dallas.
J’ai cette
histoire de logement à régler. Cet appartement que je n’ai pas pu acheter en
raison de l’annulation de la vente du propriétaire. Ce changement d’avis n’a
pas que des inconvénients, j’ai rencontré Irène ce jour-là ; c’était hier
et j’ai l’impression que nous nous sommes rencontrés il y a plusieurs semaines.
Ce n’est pas de l’ordre du coup de foudre, ce sont juste des moments d’intenses
émotions en raison des conditions de notre rencontre.
Que va faire
Irène ? Va-t-elle envisager de rester un peu en France le temps que la
situation redevienne normale sur New York ? Prévoit-elle de partir à
l’hôtel ou demandera-t-elle à rester un peu chez moi ? Nous parlerons de
tout cela lorsqu’elle se sera réveillée. Peut-être irons-nous profiter des
rayons du soleil le long des quais des boutiquaires. C’est elle qui me dira ce
qu’elle souhaite. Je pense qu’elle a eu son compte d’émotions et qu’elle n’a
pas envie d’être bousculée ; juste épaulée et soutenue. Là, je peux
l’aider. Mais je ne vais m’imposer.
Dix-huit heures.
Irène se réveille, les cheveux en bataille mais la mine reposée. Elle apprécie
que je l’aie laissé se détendre aussi longtemps. Elle me demande d’emprunter ma
salle de bains et lui avoue que c’est un peu le bazar. L’habitude d’être
seul ! Qu’importe, je fermerais les
yeux, me dit-elle.
Elle réapparait
quelques minutes plus tard dans mon peignoir et s’installe sur l’un des sièges
installés sur le balcon. Le soleil chauffe encore et la vue sur le parc est
très agréable. De nombreuses questions lui viennent à l’esprit alors qu’il y a
à peine une demi-heure elle était encore endormie. Elle ne veut pas me déranger
plus longtemps et envahir mon espace surtout si brutalement. Ce n’est pas comme
si nous avions prévu d’emménager tous les deux, suite plus ou moins logique
dans une relation de couple ou de colocation…Son intention est toujours de
partir aux Etats Unis mais suite à ce que l’on avait aperçu à la télé en
déjeunant cela n’allait pas s’arranger sous quarante-huit heures.
Alors je lui fais
une proposition. A elle de réfléchir. Mon appartement est assez grand pour deux
et sa présence ne me dérange pas. J’ai des missions à effectuer dans le cadre
de mon travail, je suis amené à m’absenter dans les jours à venir alors si elle
veut rester là, elle peut. Je lui laisse un jeu de clé et elle peut aller et
venir à sa guise. Je lui propose également d’assister aux prises de photos si
elle ne veut pas rester seule. Nous pouvons partir pour la journée ou sur plusieurs
jours. Elle m’écoute attentivement lorsque j’évoque mes recherches
d’appartement et mon travail dans le Gers. Puis elle m’interrompt et me propose
d’aller faire un tour à pied. Ce soir c’est elle qui trouve l’idée du repas, un
p’tit bistrot qu’elle connait dans le quartier st Michel. Elle doit réfléchir à
tout ce que je viens de lui dire avant de prendre une décision. Le temps de se
changer, nous voilà dehors pour une virée nocturne entre copains. C’est
surprenant comme sensation. On ne se pose pas de questions. Ou plutôt si !
Irène veut tout savoir de mes reportages à venir, des conditions dans
lesquelles je travail, des contrats qui me lient à mes
« employeurs ». Elle avait
déjà participé à des séances de prises de photos et s’était toujours intéressé
à ce travail « indépendant ». Elle qui s’apprêtait à changer de vie …
Cela pourrait être une opportunité. C’est ainsi que nous avons discuté toute la
soirée du métier de reporter photo, oubliant les soucis d’Irène dans sa vie
privée, l’annulation de son vol, la perte de son logement.
Après avoir passé
un bon moment dans le bistrot que connaissait Irène, nous sommes rentrés à
pieds le long des quais, pensant à tel ou tel cliché que l’on pourrait faire et
vendre à tel ou tel magazine… Lorsque nous sommes rentrés chez moi, Irène m’a
demandé si cela ne me dérangeait pas si elle occupait quelques jours ma chambre
d’amis. Bien sûr que cela ne me gênait pas. Je lui avais proposé quelques
heures plus tôt, c’était sérieux et sincère. Elle me souhaita bonne nuit et me
promit qu’elle me donnerait une réponse le lendemain matin.
Je ne réussis pas
à m’endormir rapidement alors je pris un roman et commença à le lire. L’ouvrage
d’une pile constituée des coups de cœur d’un chroniqueur d’une radio que
j’écoute régulièrement et ne me déçoit jamais.
Irène me découvre
au petit matin sur le fauteuil du séjour, le livre à l’envers sur mes genoux.
C’est son éclat de rire qui me réveille et c’est agréable. Elle culpabilise de
perturber mon sommeil. Pour se faire pardonner –je la rassure, je suis du genre
insomniaque-, elle nous prépare le petit déjeuner et m’annonce qu’elle va me
raconter ce qu’elle a décidé. Après une douche tonique, je m’installe autour de
la table et l’écoute attentivement. Son air est sérieux. Je ne sais pas à quoi
m’attendre comme réponse. Un départ m’attristerait un peu, sa présence est un
rayon de soleil, mais je comprendrais qu’elle ne veuille pas s’imposer chez moi
sachant que l’on ne se connait que depuis 48 heures. Elle a réfléchi à ma proposition de la veille. Tout cela est
tellement inattendu alors que nous ne nous connaissons quasiment pas. Vu tout
ce qu’elle enduré depuis quelques jours, elle doit avouer qu’elle ne sait plus
trop où elle en est. Elle va accepter mon
offre de colocation. Depuis hier, elle a l’impression de revivre alors qu’elle
perdait pieds il y a quelques jours à peine. Ma présence, nos discussions et les
idées de virée pour m’accompagner sur les lieux de tournage et de prises de
photo lui ont fait un bien fou. Irène va donc me tenir compagnie quelques
semaines et préparer en même temps son départ pour être aux States en même
temps que moi. Elle se fera discrète, je peux compter sur elle. Et si j’ai
besoin de son aide, aussi !
Je suis heureux
de la voir aussi souriante et rassuré de ne pas la voir partir seule dans un
hôtel où elle a plus de risque de se morfondre, de gamberger. Là on va passer
du temps ensemble, partir à l’aventure, rencontrer des personnages parfois
atypiques, découvrir des paysages qui nous changeront les idées. Elle me confie
qu’elle souhaite apprendre un peu le métier de photographe à mon contact. Il
n’y a qu’un point qu’elle exige régler tout de suite. Participer aux frais en
me donnant un chèque pour le loyer et les repas. Pas question pour elle d’être
hébergée à mes frais. Si je refuse, elle part immédiatement. OK, j’accepte, mais pour le reste, elle est
mon invitée.
Maintenant, la
vie à deux peut commencer. Je lui montre mon agenda pour le mois à venir, les
lieux où l’on va se rendre à deux si elle veut m’accompagner, les démarches que
je compte effectuer pour mon futur appartement et celles de mon départ pour
DALLAS, prévu le 06 novembre prochain. Mon billet n’est pas encore réservé
mais il va falloir que je m’en occupe cette semaine. Son billet est échangeable.
Elle peut modifier la date et la destination d’origine. Elle va s’occuper des
recherches de billets afin que l’on voyage ensemble pour ce périple.
Je sens que l’on
est parti pour longtemps tous les deux. J’ignore si les sentiments s’en
mêleront, l’avenir nous le dira. Pour le moment, on va faire un bout de chemin
tous les deux, avec nos histoires respectives, nos projets personnels -communs
ou non- à long terme. Nous avons convenu
de ne parler de notre passé que si l’un de nous veut se
dévoiler encore plus. J’en savais néanmoins beaucoup sur la vie d’Irène.
Elle m’en racontera plus si elle le désire. Je lui parlerai
de la mienne si je le souhaite. Je préfère évoquer
mon expérience de reporter. Les autres
ont une existence tellement plus passionnante que la mienne. C’est pour cela
que je l’aime tant. Ne rien devoir à personne et découvrir le monde. J’ai l’impression qu’Irène s’est découvert un
intérêt pour un univers qu’elle ne connaissait pas. Peut-être partira-t-elle un
jour aussi à travers la France, l’Europe, le monde pour nous expliquer comment
certaines populations vivent encore à l’heure où d’autres envisagent de voyager
dans des voitures qui avanceront sans conducteur, de visionner des programmes
différents sur un même téléviseur, grâce aux « progrès »
technologiques.
Demain c’est
lundi. J’ai des photos à prendre dans différents quartiers de Paris, aux
aurores. Je dois être sur place à cinq
heures trente pour être prêt à prendre les rayons du soleil sur la Seine avec
les péniches qui remontent le fleuve.
Irène est partante. Elle sera du voyage et mercredi elle va
m’accompagner dans le Val d’Oise. Je lui ai parlé du village pittoresque où a
lieu mon reportage.
Sa curiosité l’a
piquée et elle veut en profiter pour faire une balade. Pour le Gers, elle m’a
avoué qu’elle avait déjà séjourné dans le département plusieurs fois mais
qu’elle comptait me faire découvrir quelques petites merveilles donc celles de
la propriété d’un producteur viticole et d’un petit éleveur qui fabrique ses
foies gras. Dégustation sur place en table d’hôtes. Elle se souvient avoir
visité les vestiges d’une cité gallo romaines. Petite semaine sympa en
perspective.
La semaine
suivante, j’irai visiter des appartements dans le quartier où j’ai rencontré
Irène. Je souhaite investir dans un appartement plus vaste avec terrasse. Elle viendra peut-être avec moi. Un regard
féminin sera peut être un atout pour voir les choses différemment.
Trois jours se
sont écoulés depuis notre rencontre ; des semaines semblent s’être passées
tant ce laps de temps a été riche et passionnant en termes d’échange. Nos vies ne seront plus les mêmes. Il y aura
l’avant et l’après. Et l’après commence ici, maintenant. …
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2012
Irène ne vit plus
à Paris. Nous avons cohabité deux années consécutives, dont six mois aux Etats
Unis. Lorsqu’elle notre vie commune a commencé, tout s’est enchaîné. Je n’ai
pas trouvé l’appartement que je recherchais malgré son aide précieuse.
Qu’importe !
Nous avons
sillonné l’Ile de France, la province au fil de mes missions de reporter. Elle
m’a suivi, a appris le métier en me regardant travailler puis elle a acheté son
premier appareil photo qui lui permettrait de réaliser les mêmes styles de
clichés que les miens. Nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt. Elle
était très attirée par le monde animal et floral. Elle
fut une très bonne élève. Aucun de nous ne cherchait à se faire de l’ombre. Ce
n’était pas un concours. C’était un pacte que nous respections..
Comme cela était
prévu, nous sommes partis aux Etats Unis –à Dallas dans un premier temps où je
réalisais un reportage pour une chaîne de télévision publique française puis
nous avons sillonné à travers le continent américain. Je l’ai laissé prendre
des milliers de photos puis avec son accord, nous sommes allés les proposer à
un éditeur que je connaissais à New York. Et là ce fut la révélation pour elle.
Mon ami lui a proposé un contrat
d’exclusivité pour le travail réalisé et était prêt à l’embaucher comme
collaboratrice. Elle n’envisageait pas de se retrouver seule dans cette ville,
loin de moi ; même si nous étions et demeurions d’excellents amis. Elle
fut comblée d’apprendre qu’il souhaitait
qu’elle fasse découvrir la France autrement à travers ses photos. Elle
continuerait de vivre sur Paris, de voyager dans ce pays qu’elle aime tant et
se rendrait à New York tous les trois-quatre mois pour des réunions. Elle
accepta le job et nous sommes rentrés sur Paris. Chacun prit un rythme de
croisière entre nos différentes missions. Nous pouvions passer un mois sans nous croiser et trois mois sur
Paris ou dans un coin de France sans nous quitter car nos clichés nous
conduisaient vers la même destination.
Nous avons passé
de merveilleuses années ensemble, croisé des personnes surprenantes, toujours enrichissantes. Nos
albums photos ont évolué et nos clichés ont voyagé à travers le monde. Un jour
Irène est partie. Elle avait reçu une offre d’une entreprise d’édition internationale basée à Washington et
l’accepta. Elle venait d’avoir 25 ans et
décida de d’entamer une nouvelle existence. Nous ne nous sommes jamais vraiment
perdus de vue, les outils de communication nous permettaient de correspondre de
là où nous étions. Elle me donnait son avis sur certains de mes reportages, moi
sur des photos que j’avais découvert ici ou là au fil de mes missions, y
compris dans des contrées éloignés.
C’est ainsi que
l’on s’est croisé un matin à Sydney en Australie. Nous arrivions chacun d’une
destination différente. Elle de Polynésie, moi du Japon et nous allions rentrer
sur Paris.
Nous ne nous
étions pas revus depuis cinq ans. J’ai retrouvé une jeune femme heureuse,
épanouie. Elle m’annonça qu’elle rentrait passer les fêtes de fin d’année chez
ses parents avec qui elle avait renoué depuis quelques années déjà. Mais qu’ils
ne s’étaient pas revus depuis ce fameux 12 septembre 2007. Elle leur avait
téléphoné, écrit à plusieurs reprises. Ils avaient compris sa détresse,
respecté son choix et suivaient sa carrière depuis qu’elle leur avait expliqué
tout ce qui s’était passé depuis le jour de son départ. Et elle me demanda de
venir les rencontrer Pourquoi pas le 31 décembre ? La nuit de la St
Sylvestre serait fantastique si j’acceptais de la rejoindre pour la fête que
ses parents avaient organisée. Noël se passerait en petit comité. Le passage à
la nouvelle année serait plus festif et elle souhaitait que je sois à ses
côtés. Ses parents devaient connaître celui qui l’avait sauvé ; celui
grâce à qui elle était devenue la jeune femme qu’elle est aujourd’hui. J’étais
trop heureux de la revoir pour lui refuser.
Nous avons réussi
à obtenir deux sièges côte à côte pour le voyage qui nous ramenait à Paris.
Nous n’avons pas dormi une minute ; Nous avions tant de choses à nous
raconter, de souvenirs de reportage à évoquer, des découvertes à faire partager
un jour lors d’un voyage « privé » tous les deux. Ce fut la promesse
que l’on se fit pour l’année 2013. Partir en vacances tous les deux dans deux
endroits différents au cours d’un périple de deux mois. L’un faisant découvrir
à l’autre le lieu qui l’aura marqué durant ces cinq années en solo.
Au cours de cette
trêve dans nos agendas, nous avons parcouru les rues de Paris comme il y a cinq
ans et nous avons fait une découverte stupéfiante. L’appartement que je
désirais tant était aujourd’hui en vente. Une vue superbe sur le jardin des
Buttes Chaumont, trois chambres très spacieuses, un séjour où l’on aurait pu
déjeuner à vingt personnes, le rêve.
Je le revois
comme le jour où l’agent immobilier me l’avait fait visiter en 2007. J’ai appelé
instantanément l’agence pour savoir s’il était encore disponible. Il venait de
poser l’affiche une heure plus tôt. Je leur ai demandé de venir sur place avec
les papiers pour la promesse d’achat et que je leur donnerais les détails sur
place. Mon interlocuteur fut surpris par ma demande mais arriva aussi vite que
cela était possible. L’agence était située dans
une rue très proche.
Lorsqu’il arriva,
il me demanda si je n’étais pas celui qui avait voulu l’acheter cinq ans plus
tôt. Il m’avait reconnu instantanément. Nous sommes montés avec lui dans
l’appartement et j’ai signé tout de suite. L’appartement était libre. Le temps
de conclure le dossier avec la banque, je prendrais possession des lieux le 1er
mars, J’ai renouvelé ma proposition de « co-location » à Irène qui me fit une offre surprenante.
Elle se joignait à moi pour l’achat. Ce serait notre appartement. Je n’étais
pas sûr d’avoir compris sa proposition mais elle m’offrait réellement l’autre
moitié de la somme. Nous nous étions
rencontrés grâce à cet appartement, nous allions partager les lieux. Ce serait
notre lieu de rendez-vous lorsque nos reportages nous conduiraient sur Paris où
nous ramèneraient ici.
Une nouvelle vie
commençait pour nous. Ici. aujourd’hui. Nous l’avions vécu chacun de notre
côté, Maintenant nous allions la partager tout en gardant nos activités
passionnantes à travers le monde.