Prologue
Depuis quelques jours déjà
une certaine tension régnait au sein de l’immeuble. En particulier depuis
l’arrivée de deux nouveaux locataires. L’un au rez de chaussée, l’autre au
cinquième étage.
Deux hommes, deux
générations opposées et aussi deux styles totalement différents. Le plus jeune,
25 ans, était affublé de vêtements qui
ne passaient pas inaperçus. Elégant mais avec un code vestimentaire hors du
commun pour sa génération, des tenues semblant sortir des années trente, avec
une coupe de cheveux très fun. Il parlait un français très littéraire qui
dénotait un peu dans le quartier où il résidait à Genève.
Apparemment, il vivait seul.
Personne d’autre que lui n’entrait ou sortait de son appartement, n’ouvrait ou
fermait la baie vitrée qui donnait sur le long balcon.
Le soir, on l’apercevait
devant un bureau face à cette terre. Il devait écrire ou dessiner car il était
tête baissée et un de ses bras paraissait en mouvement.
De plus, les voisins d’en
face ou plutôt les voisines apercevaient des objets noctliluques de teintes
variées : bleues, jaunes, orangées ainsi qu’un impressionnant pot à
crayons dans lequel poussait un hibiscus.
Au rez-de-chaussée, un homme
d’environ 70 ans occupait un appartement avec un accès sur un jardinet
privatif. Souvent habillé de jean, tee-shirt fantaisie et blouson en vieux
cuir, il arborait une chevelure épaisse blanche mi longue ainsi qu’une barbe
bien fournie.
Il baladait avec lui son
raton laveur. Ce n’était pas au goût de ses voisins. Néanmoins, ce petit
inconvénient était vite oublié lorsqu’il usait de son huile de coude pour
dépanner certains résidents plus âgés que lui ou qu’il faisait tourner son jet
« tourbe marine » par forte chaleur.
C’était un logicien. Pour
lui, tout avait une raison d’être : fonctionnement, panne, existence,
mort, défectuosité d’organe, handicap.
Il y avait une logique pour tout. Il possédait également un crayon géant
où il avait posé un hibiscus.
Bref, la vie s’écoulait
tranquillement lace du cirque à Genève.
Les filles d’en face n’en
perdaient pas une miette. De vraies concierges,
commères pour ne rien arranger. Elles racontaient tout lorsqu’elles se
rendaient sur la place, les jours de marché.
Une nuit d’août, le 14 très
exactement alors qu’il faisait très chaud, les résidents de ce quartier ne
trouvaient pas le sommeil. Les lumières étaient allumées dans tous les
appartements, de la musique provenait de quelques uns d’entre-eux quand soudain la panne de courant.
Le noir complet. Seul un refrain se faisait entendre « mes amis, je vous
dis adieu, je devrais vous pleurer un peu, pardonnez-moi si je n’ai dans les
yeux que l’Amérique ». Quelques
secondes plus tard, les lumières se rallumèrent, la musique fut coupée. Puis,
plus rien. Le silence. Les néons sur la place éclairaient la place mais aucun
bruit, aucun mouvement dans le quartier, aucune entrée ou sortie dans les
immeubles. Comme si la vie s’était arrêtée.