Ma bulle d'oxygène

Ma bulle d'oxygène

Rencontre

Il était une fois et puis non ce n’est pas un conte que je vais vous lire mais plutôt une histoire, celle d’un homme rencontré il y a quelques années, alors que je séjournais dans un village du Vercors, à Méaudre plus exactement.

 

Ce jour-là, comme les jours précédents, je me promenais de bon matin pour profiter de la fraîcheur. Les petits commerçants avaient déjà ouvert leur boutique et j’effectuais mon marché pour le repas du midi. J’avais oublié mon panier et je repartais avec les petits sacs du maraîcher et du boucher quand malencontreusement l’un d’eux se déchira et toutes mes cerises, mon concombre, mes pêches tombèrent et roulèrent sur la chaussée. J’étais très ennuyée surtout car je ne savais pas comment j’allais récupérer mon butin.

 

Coïncidence fortuite, un monsieur d’âge avancé sortait de sa maison. Grand, barbu, charmant avec son panama, il s’approcha de moi et me proposa un panier en osier. Il avait assisté à la scène depuis la porte fenêtre qui donnait sur la rue et comme il me voyait tous les matins depuis deux semaines, il eut envie de rendre service à une touriste qui se plaisait à vivre dans son village. J’acceptais avec plaisir et pour le remercier lui offrit un café à la terrasse voisine. Il préféra faire son marché avant afin de rapporter ses achats chez lui. Aucun souci. Je lui donnais rendez-vous à l’heure qui l’arrangeait et lui rapporterais ainsi son panier lors de nos retrouvailles.

 

Dix heures. Nous voici installés au « Palace du Vercors ». Je commande deux orangeades puisqu’il préfère également se désaltérer. « Trop chaud pour un café ou un thé. Je sais pourtant que c’est excellent en cas de chaleur. Souvenirs d’armée, au Sahara ». Puis il se met à me parler de la guerre mais des bons souvenirs partagés avec les habitants malgré les critiques de ses copains militaires et de ses chefs. Puis, tout en voulant me goûter un petit saucisson déposé par le patron des lieux, il se coupe légèrement le doigt. Monsieur est douillet. Je lui colle un pansement trouvé dans mon portefeuille et le voilà rassuré. Il m’explique qu’il vit seul alors il n’a plus l’habitude que l’on s’occupe de lui. Veuf depuis quatre ans et ses enfants installés à plusieurs centaines de kilomètres et plus attirés par les flots que par les sommets.

 

Il lit beaucoup, seul dans son bureau, assis sur son fauteuil et lorsqu’il quitte ses romans, il s’amuse à observer les gens de la place pour les dessiner ou les décrire avec des mots sur des petits carnets. Il me raconte qu’autrefois, quand il était jeune, il travaillait à Paris, dans le métro, station Gare du Nord puis après avoir été victime à plusieurs reprises de jets de bombe lacrymogène, il avait donné sa démission à la RATP et s’était enfui ici, dans le fief de ses grands-parents. Il avait travaillé dans une étude de notaire et n’avais jamais quitté les lieux hormis pour quelques semaines de vacances dans diverses régions de France.

 

Il s’interrogeait sur mes raisons de vivre ici d’autant qu’il me voyait toujours seule avec un panier débordant de victuailles. Ma réponse fut interrompue par les douze coups du clocher de l’église. A peine le temps de reprendre le cours de ma phrase qu’elles sonnèrent pour la deuxième fois, suivie de la sirène située sur le toit de l’hôtel de ville, face à nous. Il était midi et nous étions le premier mercredi du mois. Nous avons éclaté de rire. Nous avons éclaté de rire. Incontestablement, des éléments extérieurs s’étaient accordés pour m’empêcher de prendre la parole.

 

Lorsque le silence se fit autour de nous, je pus commencer à lui expliquer que je venais ici pour la première fois mais que mes proches partaient en randonnée tous les matins aux aurores et ne revenaient que vers16 heures. Un souci médical ne m’autorisait pas à partir vers les sommets et j’en profiter pour goûter aux plaisirs de la vie de ce village. Des gens accueillants, aimables, des commerces alimentaires bien achalandés grâce aux producteurs locaux. Le sourire de toutes ces personnes avait achevé de me convaincre que j’étais mieux au centre du village que dans notre chalet -un peu éloigné- pour chercher l’inspiration, le bien-être et le repos. Le mot inspiration le fit réagir et il me proposa de poursuive cette conversation, en déjeunant sur place et de goûter au menu « découverte du terroir »  Après tout, c’était une excellente idée ! Et nous avons continué de discuter, de rire, de partager des souvenirs liés à des visites de régions, ici et là.

 

Nos rendez-vous se sont succédés quotidiennement jusqu’à la fin de mon séjour, tantôt assis sur la place du village, à l’ombre des arbres, tantôt à la terrasse du café ou simplement dans son jardin. Nous nous sommes écrits régulièrement pendant des années. Lui toujours bienveillant, moi optimiste notamment les jours où fatigué il s’interrogeait sur l’automne de sa vie. Dix ans durant, je suis venue à différents moments de l’année me ressourcer à Méaudre, près de sa maison, dans ce village devenu cher à mon cœur.

 

Antoine y repose depuis le printemps et je continuerais à penser à lui longtemps encore car il m’a vendu sa maison quelques semaines plus tôt, sentant sa santé


29/01/2012
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