Salomé
Salomé danse et moi…
Salomé danse pour obtenir quelque chose…Et moi Hector, son fidèle compagnon de fortune, je suis là, couché au pied de la colonne du palais. Elle est si belle, si attentionnée envers moi.
Elle m’a recueilli un jour alors qu’elle venait de se faire jeter d’une charrette. Elle pleurait et moi j’errais seul dans les rues. Je m’étais approché d’elle, lui avait fait la fête, jappant, sautant sur mes pattes arrières pour lui arracher une caresse, pourquoi pas un sourire. Elle me prit dans ses bras, éclata en sanglots, puis me serra fort. Je sentais battre son cœur. Depuis nous ne nous sommes plus jamais quittés. Et Salomé a commencé à marcher de village en village, dansant et chantant en vue de récolter quelques pièces pour manger et dormir à l’abri. Un jour elle croisa une caravane dont les chevaux, les chariots étaient ornés de tissus chatoyants, brillants. Elle demanda l’aumône et fut remarquée par le chef. Son allure ne laissait aucun doute sur son rôle. Il exigea que Salomé se joigne à eux, même avec moi ! Elle devait danser pour lui chaque fois qu’il le souhaiterait et si elle désirait quelque chose pour elle, elle connaissait le prix…
Plusieurs mois s’écoulèrent et Salomé vivait toujours au milieu des membres du convoi. Un jour, ils atteignirent un palais abandonné. La vie de nomade se terminait là. Salomé continuerait de danser mais le chef fut plus exigeant avec elle. Elle devenait sa favorite et devait être à ses côtés à tous les instants.
Qu’elle est belle ce soir ! Ma Salomé est drapée de voiles aux couleurs chatoyantes, sa peau mate est resplendissante sous les flammes du feu qui brûle au centre du palais. Ses bijoux s’entrechoquent alors qu’elle danse au son des tambourins. Plus rien n’existe pour elle lorsqu’elle entre en transe avec la musique. Même pas moi, c’est dire ! Je l’observe de ma place. Ses bras jouent avec les foulards qu’elle enroule autour de son cou, sa poitrine, sa taille, ses hanches. Elle virevolte autour du brasier mais revient toujours devant le prince. Je vois bien qu’il a de l’allure, mais quand même ! Le charme humain a ses mystères que nous les chiens on a du mal à saisir, mais revenons à ma maîtresse. Salomé n’a d’yeux que pour lui et il n’est pas insensible à cette femme. Elle n’est pas comme les autres. Elle s’est retrouvée par hasard sur son chemin. Il l’a sauvé aux portes du désert. Elle n’est pas une de ses créatures que son père veut lui imposer, riches mais tristes, fades. Elle ne cherche pas à devenir sa favorite ni à créer le désordre avec les autres femmes de la caravane. Ma princesse, si elle ne danse pas, reste avec moi, son fidèle compagnon. Cette semaine, j’ai même feint de mourir d’ennui sans elle alors que je me retrouve toujours dehors lorsqu’elle danse. Salomé a vu à temps mon regard triste, mon ventre creux et a demandé à son serviteur d’accepter ma présence dans la cour du palais. Son souhait est exaucé. Salomé a tant de grâce naturelle que le prince ne peut s’y opposer. C’est la raison pour laquelle je peux la voir ce soir.
Ce soir-là, pour remercier son sauveur, elle parfume son corps et sa chevelure à l’huile de fleurs d’oranger. Elle se glisse dans une robe couleur de feu, noue plusieurs foulards qui s’envoleront pendant son numéro. A ses poignets, plusieurs manchettes qu’elle fera briller de mille feux.
L’homme est sous le charme dès qu’elle fait son apparition avec les autres femmes du palais. La musique commence et le balai débute. L’une après l’autre, elles dansent devant le prince mais seule Salomé retient son attention à ce point. Une heure passe et les danseuses s’épuisent et finissent dans les bras des hommes de la caravane. Alors il se lève majestueusement, se rapproche de Salomé, lui demande de s’arrêter. Elle cherche mon regard, un peu effrayée et ne sait pas ce qui l’attend. Soudain l’homme ôte un des colliers qu’il porte et le passe autour du cou de la jeune femme. Elle ne comprend pas mais entend les chants des autres femmes, voit les hommes s’incliner et surtout l’étincelle dans les yeux du prince. Il lui prend la main, l’invite à s’asseoir à ses côtés de la place qui lui est dédiée en tant que prince. Il n’a encore rien dit mais les quelques mots qu’il va prononcer vont bouleverser sa vie pour toujours. « Vous avez devant vous ma future épouse. Vous pouvez nous préparer votre plus belle fête. Je veux que cela reste dans les mémoires de ce lieu. Le mariage aura lieu dans 4 lunes ». Moi aussi je vais vivre dans le palais, cela va me changer de la rue.
Salomé n’en revient pas, elle est intimidée et heureuse. Elle pleure de joie. Cet homme lui a sauvé la vie il y a quelques mois, ne l’a jamais maltraitée ni considérée comme en esclave comme les autres filles. Et aujourd’hui il déclare devant tous les hommes et les danseuses encore présentes qu’elle sera désormais son épouse et leur souveraine. Ce n’est pas un rêve. Des larmes perlent sur ses joues, ses yeux brillent de mille feux. Le prince l’entraîne dans ses quartiers et la fait installer comme la princesse qu’elle est désormais. Il l’embrasse tendrement avant de la laisser entre les mains des femmes chargées de la préparer pour sa première nuit de sultane. Un nouveau conte des mille est une nuit commence à s’écrire ce soir…